Jean de La Fontaine : Fables choisies fables inédites


Le Renard et l'Ecureuil
La Poule et le Renard
Le coq et les concubines.
L'Ane juge



Fables restées inédites du vivant de la JeandeLaFontaine



Le Renard et l'Ecureuil


Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?
Le sage Esope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux;
Je ne les cite point, et certaine cHRonique
M'en fournit un plus authentique.
Le Renard se moquait un jour de l'écureuil
Qu'il voyait assailli d'une forte tempête:
Te voilà, disait-il, près d'entrer au cercueil
Et de ta queue en vain tu te couvres la tête.
Plus tu t'es approché du faîte,
Plus l'orage te trouve en butte à tous ses coups.
Tu cherchais les lieux hauts et voisins de la foudre:
Voilà ce qui t'en prend; moi qui cherche des trous,
Je ris, en attendant que tu sois mis en poudre.
Tandis qu'ainsi le renard se gabait,
Il prenait maint pauvre poulet
Au gobet;
Lorsque l'ire du Ciel à l'écureuil pardonne:
Il n'éclaire plus ni ne tonne;
L'orage cesse et le beau temps venu,
Un chasseur ayant aperçu
Le train de ce renard autour de sa tanière:
Tu paieras, dit-il, mes poulets.
Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le compère.
L'écureuil l'aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit.
Ce plaisir ne lui dure guère,
Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit; mais il n'en rit pas,
Instruit par sa propre misère.

La Poule et le Renard


Une poule jeune et sage,
Toute faite pour charmer,
Qui pouvait se faire aimer
De tous les coqs du village,
Marchait d'un pas PaulFort galant,
Et comme poule qui veut plaire,
Portait pour habit d'ordinaire
Un petit drap d'or volant.
Se voyant posséder des beautés sans égales,
Malgré mille rivales,
Du mari qu'elle aimait elle croyait aussi
Etre aimée, et sans doute il le fallait ainsi.
Mais bientôt du contraire elle se vit certaine,
Car cet emplumé sultan,
Suivi de son sérail qu'il menait dans la plaine,
Se faisait chaque jour des autres une reine,
Quand celle-ci recevait à peine
Le mouchoir qu'une fois l'an.
Un juste désespoir s'empare de son âme,
Et suivant le dépit qui l'entraîne et l'enflamme,
Elle court à venger de si cruels dédains;
Mille desseins elle roule,
Mais elle est poule,
Et la crainte lui fait emprunter d'autres mains.
Sottement elle s'adresse
Au renard son ennemi,
Et non sans avoir frémi,
Lui dit le mal qui la presse,
Et pourvu que par lui son coeur soit satisfait,
Avec serment lui promet
Que dans les broussailles voisines
Elle saura bientôt lui livrer en secret

Le coq et les concubines.

Il lui promet à son tour
De bien venger son amour,
De secourir sa faiblesse,
L'assure qu'elle aura raison,
Et, comme il est adroit et rempli de finesse,
Il flatte la trahison,
Pour attraper la traîtresse.
D'abord il s'alla poster
Sur le détour obscur d'une route secrète,
Par où sans qu'on le vît, il pouvait attenter
Sur toute la troupe coquette.
Après avoir en tapinois
Fait longtemps le pied de grue,
La poule retourne au bois
Lui conter, toute éperdue,
Que, par un cas imprévu,
Des soldats dont la faim est toujours insensée,
Avaient mis à son insu
Le sérail en fricassée.
Non, non, je n'aurai point attendu vainement,
Dit le renard en colère:
Du temps que j'ai perdu tu seras le salaire!
Et l'approchant finement
L'étrangla comme il sait faire.
Quand on veut venger une offense
Et que seul on ne peut se venger qu'à demi,
C'est une grande imprudence
D'employer son ennemi.

L'Ane juge


Un baudet fut élu, par la gent animale,
Juge d'une chambre royale:
C'est l'homme qu'il nous faut ! disaient autour de lui
Ses amis accourus tout exprès au concile;
Simple dans son maintien et dans ses goûts facile,
Il sera de Thémis l'incomparable appui;
Et de plus il rendra sentences non pareilles,
Puisque, tenant du Ciel les plus longues oreilles,
Il se doit mieux entendre aux affaires d'autrui.
Bientôt l'industrieuse avette
Devant cet arbitre imposant,
Se plaignit que la guêpe allait partout disant
Que le trésor doré des filles de l'Hymette,
Loin de valoir son miel âcre et rousseau
N'était bon qu'à sucrer potage de pourceau:
Contre cette menteuse, impudente et traîtresse,
J'implore à genoux Votre Altesse!
Dit l'abeille tremblante au juge au gros museau.
A ses mots l'âne se redresse
Dans son tribunal
Et, prenant un air magistral,
Décorum ordinaire aux gens de son espèce,
Il ordonne à l'huissier d'étendre au bord d'un muid
Egale part de l'un et de l'autre produit.
Le grison en goûta au fin bout de sa langue,
Pas une fois mais deux et tint cette harangue,
La gloire de la robe et du bonnet carré:
La plaignante ayant fait une cuisine fade,
Nous déclarons, tout très considéré,
Qu'à sa compote de malade
Le miel guépin est par nous préféré.
Quelle saveur au palais agréable!
C'est le piquant des mets délicieux,
Dont Hébé parfume la table
De Jupin, le maître des Dieux!
Et chacun de blâmer cet arrêt vicieux.
Mais Sire Goupillet, renard de forte tête,
Leur dit: De votre choix vous avez les guerdons;
Je n'attendais pas moins de ce croque-chardons.
Selon ses goûts juge la bête!


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